Fragments d'un entretien entre Philippe Collin et Marcel Duchamp réalisé à la galerie Claude Givaudan à Paris le 21 juin 1967, issu du livre : "Marcel Duchamp parle des Ready-Made à Philippe Collin" - Edition l'Echoppe.

PC : Mais comment - je ne dirai pas selon quel mode d'emploi - doit être regardé un ready-made ?
MD : Il ne doit pas être regardé, au fond. Il est là, simplement. On prend notion par les yeux qu'il existe. Mais on ne le contemple pas comme on contemple un tableau. L'idée de contemplation disparaît complètement. Simplement prendre note que c'est un porte-bouteilles, ou que c'était un porte bouteilles qui a changé de destination.

[...]

PC : Il y a un faux problème que je voudrais soulever, auquel beaucoup de gens pensent : c'est que ces ready-made, qui se veulent finalement en réaction contre la notion d'objet d'art classique, sont finalement "consommés" dans des musées, dans des expositions, sont vendus en tant qu'objets d'art. Est-ce qu'il n'y a pas là une espèce de contradiction ?
MD : Il y a une contradiction absolue, mais c'est ça qui est agréable, n'est ce pas ! C'est d'introduire l'idée de contradiction, la notion de contradiction qui est une chose, justement, qui n'a jamais été assez exploitée, comprenez-vous. Et puis d'autant plus que cette exploitation ne va pas très loin. Si on fait une édition des ready-made de huit, comme une sculpture, comme un Bourdelle ou n'importe qui, ce n'est pas une exagération. Il y a une chose qui s'appelle des "multiples", arrivant dans les cent cinqu ante, dans les deux cents exemplaires. Là, je fais une objection parce que ça devient vraiment trop vulgaire, si vous voulez : ça vulgarise d'une façon inutile des choses qui pourraient avoir un intérêt si elles étaient vues par moins de gens. Il y a trop de gens qui regardent dans le monde. Il faut supprimer le nombre de gens qui regardent ! Ca c'est un autre problème.

PC : Ce n'est pas ce que nous faisons actuellement !
MD : Non, mais enfin. Voir à la télévision n'est pas la même chose que voir en réalité, quand même. C'est comme une reproduction : ce n'est pas la même chose que la chose elle-même.


Comment regarder et que voir ?

[…] Hirst ne déteste certainement pas cette idée : la vedette de la vente de 2008 était un veau d'or, au sens littéral du terme. Un petit bovin, aux cornes et sabots dorés, inséré dans une vitrine. Œuvre considérable. Non parce qu'elle a été vendue 16,5 millions de dollars - à François Pinault, dit-on -, mais parce qu'elle était le symbole de ce qu'est devenu le marché de l'art contemporain : l'adoration du veau d'or, très précisément. Golden Calf, c'est son titre […]

Source : article "Un business vieux comme l'art", paru dans le magazine du Monde le 20.04.2012 par Harry Bellet
L'attitude actuelle face à des véritables mythes iconographiques
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